Itinéraire d’un planteur de bananes : épisode 3

La gestion d’une exploitation agricole antillaise est soumise à de nombreux aléas. Les ouragans et les cyclones mais aussi les grèves qui se multiplient à la fin des années 70.

Les grèves des dockers

Entre 1977 et 1979, la Martinique est secouée par des grèves à répétition des dockers. Leurs revendications sont essentiellement salariales, car depuis 1974, et le choc pétrolier, le coût de la vie a augmenté dans des proportions considérables. Le salaire moyen d’un ouvrier agricole s’élève à 25 francs par jour, tandis que le litre d’huile est brusquement monté à 7,50 francs.

En guise de protestation, les dockers refusent de charger les bateaux, une partie de la marchandise reste sur le quai. Pour les produits périssables, comme la banane, les conséquences sont immédiates.

« Les bateaux partaient avec plusieurs jours de retard, ce qui provoquait des avaries à l’arrivée. Un milliard de francs de chiffre d’affaires a été perdu, et la qualité des bananes vendues a chuté considérablement parce qu’une grande partie des cargaisons arrivaient en métropole déjà mûres et donc bonnes à jeter. »

Des bananes déversées dans les rues de Fort-de-France

En 1977, les planteurs de bananes décident d’alerter l’opinion par un coup d’éclat.

« Nous avons décidé que le bateau partirait, quoi qu’il arrive, le jour initialement prévu et que les bananes qui n’auraient pas pu être chargées à bord seraient déversées dans Fort-de-France. À  minuit, la trentaine de camions chargés chacun de 10 tonnes de bananes pénétraient dans la ville. Personne n’osait passer à l’action ; cela ne s’était jamais fait aux Antilles et les gens étaient hésitants. J’ai dû donner le signal du départ en grimpant sur l’un des camions afin de verser sur le sol le contenu du premier carton. Dans les minutes qui ont suivi, les camions étaient vides et le boulevard Général de Gaulle disparaissait sous des milliers de bananes. La population, qui avait compris ce qui se passait, s’est précipitée pour ramasser les fruits, créant un désordre indescriptible. Or, la banane était un fruit sacré en Martinique ; on n’a pas pour habitude de la jeter, et notre action a considérablement marqué les esprits.» (Témoignage d’un producteur de banane)

grèves des dockers

Les planteurs chargent les bananes

Les grèves sur les docks se poursuivent. Les producteurs de bananes choisissent une autre méthode pour préserver leurs produits.

« Un jour où une grève débutait, nous avons décidé de procéder nous-mêmes au chargement. Cela se passait en 1978 ou 1979. À 4 heures du matin, ouvriers agricoles et producteurs, soit quatre cents hommes au total, se sont retrouvés sur le quai du port de Fort-de-France et ont chargé le bateau deux fois plus vite que les dockers. Ceux-ci, prévenus de l’opération envisagée, occupaient le bateau et la police a dû les en déloger, sans incident majeur heureusement. Le soir, nous avons réclamé à la « Transat » d’être régulièrement payés pour le travail accompli. Le directeur de l’entreprise a tenté de négocier le tarif : « Si nous payons vos ouvriers comme nos dockers, ils vous réclameront le même salaire par la suite ! C’est ainsi que chacun – planteurs compris – a reçu ses 400 francs. Je me souviens qu’un des ouvriers agricoles, totalement ébahi par la somme qu’on lui avait remise, a cru à une erreur et a rapporté l’argent à la CGM ! L’opération a duré deux jours, je crois, et a été renouvelée une ou deux fois. » (Témoignage d’un producteur de banane)

« Nous avons obtenu des dockers, quelques années plus tard, le dépôt systématique d’un préavis de grève suffisamment conséquent pour éviter la récolte inutile de bananes vouées à demeurer bloquées à terre, faute de bras pour les charger à bord des bateaux. » (Témoignage d’un producteur de banane)

Merci d’avoir suivi la mini-série consacrée à Henri, producteur de bananes. Revoir les épisodes 1 et 2.

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